Votre regard sur cette année compliquée qui commence et la nécessité d’une « union sacrée » des forces vives du développement économique d’Occitanie ?
Samuel Hervé : Les entreprises auront, encore une fois, à faire preuve de résilience pour 2024 car elles ont à évoluer dans un environnement incertain et instable. Malheureusement cette situation macroéconomique risque de perdurer : il revient dès lors à une organisation comme le Medef à chaque fois qu’elle le peut, de défendre les intérêts des entreprises et d’installer des conditions plus favorables à leur croissance. Il est donc plus que jamais d’actualité de tout mettre en œuvre pour résoudre et stabiliser ce que nous pouvons. Baisse des impôts de production et disparition de la CVAE qui doit disparaître pour redonner de la compétitivité aux entreprises. Maîtrise des charges et quand c’est possible baisse des taxes. Fluidification du marché du travail, que ce soit par la réforme des régimes d’indemnisation ou par la mise en place d’outils comme France Travail qui doivent enfin pouvoir devenir des solutions évidentes et efficaces aux problèmes de recrutement des entreprises dont deux entreprises sur trois déclarent souffrir au quotidien. Nécessaire simplification administrative. Partout où nous le pouvons, oui nous devons faire front entre organisations patronales, réseaux d’entreprises, chambres consulaires, pour rappeler que notre économie et notre modèle social auquel nous tenons tous doivent se construire avec les entreprises et pas contre les entreprises.
Jean-François Rezeau : Notre présence au quotidien au contact des entreprises et de l’ensemble des parties prenantes de l’écosystème d’Occitanie confirme en effet clairement que 2024 est un exercice que tous abordent avec une grande attention, voire avec circonspection. Il est vrai que, depuis la crise Covid pour simplifier, les difficultés n’ont pas épargné l’activité des entreprises et l’économie en général. Coût de l’énergie, coût des matières premières, problèmes d’approvisionnement, inflation, consommation des ménages stagnantes… : les difficultés se sont succédé comme autant de vagues, qui ont fini par fragiliser les fondations de certaines entreprises. C’est cette fragilisation, qui concerne quasiment l’ensemble des secteurs, qui nous conduit à redoubler d’attention. Même si notre région a souvent eu un niveau de croissance supérieur à celui du national en 2023, le fait que l’OCDE revoit à la baisse sa prévision de croissance 2024 (de 1,2 % à 0,8%) n’est pas un signal positif. Dans ce tableau morose, où tout n’est pas noir cependant, il faut se féliciter de voir les acteurs du développement économique (consulaires, syndicats patronaux et de branche, fédérations professionnelles…) jouer résolument collectif pour faire entendre la voix de l’économie auprès des décideurs.
Avec un coût du crédit plus important, les investissements des entreprises devraient fléchir en 2025 : une mauvaise nouvelle à l’heure où celles-ci doivent gérer de nombreuses transitions. Comment la confiance en l’avenir peut et doit les inciter à trouver des solutions pour continuer à investir malgré tout ?
Samuel Hervé: En tant que femmes et hommes de terrain, en tant qu’entrepreneurs nous sommes intrinsèquement pétris de confiance dans l’avenir. Crise Covid, crise de l’énergie, crise géopolitique, inflation du coût des matières premières, difficultés d’approvisionnement, de recrutement, coût croissant du crédit, etc. Le quotidien de l’entrepreneur n’est qu’adversité et pourtant nous ne baissons pas les bras car nous ne pouvons pas. En tant qu’employeurs nous avons pleinement conscience de la responsabilité du maintien des emplois de nos collaborateurs. Même si la croissance s’annonce trop faible pour être riche en création d’emplois, il n’en demeure pas moins que les entreprises sont pleinement conscientes du rôle qu’elles ont à tenir pour accompagner les transitions économiques, sociales et environnementales. C’est avant tout par leur capacité d’innovation, qu’elles sont en elle-même une partie des solutions aux transitions. Quand les opportunités sont claires et le retour sur investissement établi, les financements suivent toujours pour ceux qui savent prendre des risques et être audacieux !
Jean-François Rezeau : Comme le dit Samuel Hervé, le quotidien du chef d’entreprise consiste précisément à imaginer construire -et à y parvenir- même lorsque les indicateurs ne sont pas tous au vert (et c’est un actuellement un euphémisme). Le réseau des CCI est piloté par des chefs d’entreprise qui représentent d’autres chefs d’entreprise. Cette mission nous oblige, tant en termes de résultats que d’état d’esprit. Alors, oui, l’optimisme n’est pas une option mais un devoir ! Un optimisme pragmatique et raisonné qui nous permet de rester individuellement et collectivement tournés vers l’avenir pour saisir toutes les opportunités se présentant. Et pour construire les autres ! Les chiffres de l’Observatoire Économique des CCI d’Occitanie (OBSéco) établissent qu’entre 1990 et 2021, le PIB de l’Occitanie a progressé de 76,5 % en volume et de 170 % en valeur, soit un rythme bien supérieur à celui du niveau national. Les trois décennies considérées n’ont pourtant pas, elles non plus, été épargnées par les difficultés… C’est donc précisément parce que les investissements d’aujourd’hui sont la croissance de demain que maintenir les entreprises en capacité d’investir doit être une priorité partagée par tous.
L’Occitanie a accueilli en 2022 85 projets d’investisseurs étrangers (2 504 emplois créés). Comment renforcer encore l’attractivité de notre territoire ?
Samuel Hervé : Sans rentrer dans un débat technique, je peux vous citer les chiffres de 2020 (de l’agence Ad’Occ). Avec 96 projets (et 2 400 emplois) : la tendance est plate ! Et pourtant, les atouts de la région sont nombreux : situation géographique de premier rang avec deux massifs montagneux, une côte maritime, 20 % du total des sites français inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, des secteurs clefs à haute valeur technologique comme l’aéronautique et le spatial, les transports intelligents, le numérique, l’économie de la mer, l’IA, la santé ou encore le tourisme… Nous sommes la quatrième région de France métropolitaine qui crée le plus de richesses, après l’île de France, Auvergne Rhône-Alpes et la Nouvelle Aquitaine. En revanche, nous sommes 12 points de pourcentage en dessous de la moyenne nationale pour le PIB par emploi en Occitanie et 18 points de pourcentage en dessous de la moyenne française du PIB par habitant. Nous avons le deuxième rang français pour le taux de chômage le plus élevé (France métropolitaine) et quasiment 1 jeune sur 5 n’est ni en emploi, ni en formation, ni en études en Occitanie. Nos territoires restent à enjeux forts et nous devons agir de manière différenciée, selon leur localisation, précisément pour renforcer les projets d’implantation ou de développement locaux, ainsi que le développement de l’emploi et de la valeur produite. Ce qu’il nous faut mettre en œuvre, c’est une approche pragmatique du développement des territoires, en renforçant le mix entre les solutions de mobilité, de logement, d’accès à la culture et au loisir, à la formation. En un mot, c’est en investissant dans nos territoires que nous augmenterons leur attractivité et donc la création des emplois, sans négliger de le faire savoir avec un bon marketing territorial.
Jean-François Rezeau : Notre région est, en effet, hautement attractive. Et cela grâce à son dynamisme économique et à la capacité de traction de ses deux métropoles mais également par sa qualité de vie, sa géographie, sa nature préservée (l’Occitanie compte 8 Parcs Naturels Régionaux couvrant 25 % de sa superficie)… Publié en novembre, le 1er Baromètre des Métropoles de Stan&Newton révèle que la qualité de vie et l’environnement sont les principaux critères de sélection d’une métropole par les salariés comme par les entreprises. En outre, on assiste à la montée en puissance du concept de Responsabilité Territoriale des Entreprises : les entreprises lancées dans une démarche RTE soutiennent le développement économique local de leur région et mettent les problématiques environnementales et sociales au cœur de leurs préoccupations. On voit ainsi converger deux évolutions qui esquissent une nouvelle attractivité, peut-être plus sélective et à l’empreinte environnementale maîtrisée et raisonnée. Ceux qui me connaissent savent ma conviction en ce domaine puisque j’ai consacré ma carrière à cet objectif : l’attractivité de demain sera durable ou ne sera pas. Travaillons-y tous en concertation étroite.