Être joignable par ses collaborateurs pendant un temps de trajet ne suffit pas à prouver que le salarié se conforme « aux directives de l’employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles » et effectue ainsi du « temps de travail effectif » qui doive être rémunéré comme tel - Cass. soc. 13 mars 2024 n°22-11.708.
Il revient au juge de procéder à un contrôle concret de la situation.
Les faits du cas de l’espèce
Le 6 septembre 2004, M. [Z] est engagé en qualité d'assistant commercial export par la société Calibracier. Le 1er janvier 2014, il est promu au poste de directeur général adjoint. Le 6 décembre 2018, il saisit la juridiction prud'homale de demandes relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail. Le 21 janvier 2019, il est licencié. Le 14 décembre 2020, la société est placée en redressement judiciaire.
Ce salarié sollicitait, entre autres, un rappel de salaire (heures supplémentaires et congés payés y afférents) au titre de ses temps de voyage à l’étranger pour l’exercice de ses fonctions.
La Cour d’appel de Bourges avait accueilli cette demande, considérant que le temps de voyage du salarié constituait un temps de travail effectif dans la mesure où « M. [Z] restait en permanence à la disposition de son employeur durant ses temps de voyage [puisque] les attestations fournies par le salarié mentionnaient que, durant ses déplacements, il restait joignable pour ses collaborateurs, qui pouvaient ainsi prendre son attache aussi bien quand il se trouvait à l'étranger que durant son temps de voyage ».
Après avoir rappelé que « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles », la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel au motif que les attestations produites « ne suffisent pas à caractériser que, pendant ses déplacements, le salarié devait se tenir à la disposition de l'employeur et qu'il se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles » - L. 3121-1 du Code du travail.
L’affaire va donc être renvoyée devant la même Cour d’appel (autrement composée) pour qu’il soit de nouveau statué sur le cas de l’espèce, et ce à la lumière de l’arrêt entrepris par la Cour de cassation.
Ce qu’il faut retenir
« Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire » - L. 3121-4 du Code du travail.
A défaut de caractériser un « travail effectif » et à défaut de disposition conventionnelle plus favorable, le temps de trajet doit donc seulement faire l’objet d’une contrepartie en temps ou en argent.
Pour qualifier le temps de trajet de « travail effectif » et le rémunérer comme tel, avec toutes les conséquences que cela implique (en termes d’heures supplémentaires et de rappel de congés payés y afférents ou de repos compensateur notamment), tout dépend du degré de contrainte imposée au salarié durant lesdits trajets.
En tout état de cause « être joignable » ne suffit pas à caractériser l’existence d’un « temps de travail effectif ».
Le cas de l’espèce jugée aurait toutefois pu être différemment traité si le salarié avait pu rapporter la preuve d’échanges de mail ou d’autres éléments de nature à démontrer qu’il était en permanence à la disposition de l’employeur sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
Par Cristelle Devergies-Bouron, Avocat au Barreau de Montpellier