Quel atterrissage imaginez-vous pour l’économie et les entreprises d’Occitanie à quelques semaines de la fin de 2024 ?
Christine Bardinet : Avant de commencer, il est intéressant de noter que la situation de l’économie et des entreprises d’Occitanie est paradoxale à différents égards. Ainsi, si dans une conjoncture qui est restée marquée par une inflation et des taux d’intérêt toujours élevés en 2023, le volume d’activité est demeuré en croissance même s’il a ralenti dans tous les secteurs. Ensuite, malgré le contexte inflationniste, la rentabilité des entreprises que nous suivons via leur bilan (soit près de 7 500 entreprises de plus de 750 k€ de CA) a été préservée en 2023. Par ailleurs, malgré son dynamisme, notre région affiche toujours le deuxième taux de chômage le plus élevé en France, un point et demi au-dessus du niveau national. Enfin, il est à noter que l’industrie régionale est portée par l’aéronautique qui n’a pas de problème de demande mais des difficultés à livrer. Concernant l’atterrissage de fin d’année, nous avons demandé fin août aux 800 entreprises que nous interrogeons régulièrement comment elles se positionnaient par rapport à leur prévision initiale sur leur activité, leurs investissements et leur rentabilité. Dans l’industrie, 50 % d’entre elles sont en phase avec leur prévisionnel à l’export (21 % au-dessus, 29 % en dessous). 71 % d’entre elles sont en phase avec leur budget d’investissement (9 % au-dessus, 20 % en dessous). Sur la rentabilité, 45 % des entreprises se disent dans leur budget, 22 % sont au-dessus mais 33 % sont en deçà de leur prévisionnel. Ce dernier point retient notre attention. En effet, compte tenu de la baisse de l’inflation, les entreprises n’ont pas forcément augmenté leurs prix. Afin de préserver leur rentabilité, la diminution de leurs ressources demeure un levier. Et cela se perçoit : si l’emploi salarié est plutôt stable dans la région, l’intérim a, en revanche, significativement reculé.
Jean-François Rezeau : Les inconnues économiques liées à la situation politique que connaît notre pays depuis le mois de juillet, si elles contribuent à un climat défavorable aux affaires, n’ont pas eu à ce jour d’incidences majeures mesurables sur l’économie de notre territoire. La trajectoire amorcée depuis le début de l’année devrait donc se prolonger voire s’améliorer puisque l’Insee et la Banque de France ont réévalué leur prévision de croissance de 0,8 % à 1,1 %. Cette révision tient au +0,4 % enregistré entre juillet et septembre grâce aux retombées des Jeux Olympiques de Paris 2024. La fin de l'année devrait être marquée par une croissance nulle au quatrième trimestre. Au niveau régional, l’enquête de conjoncture de l’OBSéco, l’Observatoire économique des CCI d’Occitanie, parue mi-octobre, confirme la baisse d’activité attendue du 3e trimestre et esquisse un dernier trimestre atone qui devrait aboutir à une croissance annuelle autour de 1 %, comparable au chiffre national. Si l’on entre dans le détail des secteurs d’activité, notre enquête montre que les industriels affichent un optimisme prudent malgré une activité moyenne ce trimestre. Les acteurs de la construction doivent faire face à des perspectives incertaines. Les commerçants sont, eux, particulièrement inquiets face à une activité en repli. La saison touristique est insatisfaisante dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants où les perspectives sont jugées préoccupantes. Enfin, l’incertitude est de mise pour la période à venir dans les services après un 3e trimestre en demi-teinte. Incertitude, inquiétude, insatisfaction, préoccupation… : les mots esquissent un atterrissage morose marqué par l’attentisme et un climat des affaires peu propice à l’investissement, à l’embauche, à l’inititiative…
Emploi, trésorerie, défaillances, allongement des délais de paiement… : comment résistent les entreprises et l’économie d’Occitanie ?
CB : De fortes disparités existent d’un territoire à l’autre et d’un secteur d’activité à l’autre. Mais, comme l'indique Jean-François Rezeau, l’activité économique demeure dans l'ensemble résiliente en Occitanie, grâce à la filière aéronautique, même si le rythme de croissance ralentit. Les prévisions faites par les dirigeants début 2024 sont globalement respectées même si près de 30 % d’entre eux estime que la rentabilité ne sera pas dans le budget initial sans signifier que c'est forcément une baisse sensible de la rentabilité. Dans le détail, on l’a vu, l’emploi résiste, même si l’intérim chute. Concernant les trésoreries, les entreprises estiment pour une partie leur situation inconfortable, pour certains secteurs et pour certains territoires...Le point positif à date est que la bataille de l’inflation est sur le point d’appartenir au passé. Sur le sujet des défaillances, le pic a été atteint en janvier 2024. Il y en a certes encore beaucoup et plus de 9 sur 10 d’entre elles concernent des TPE. Ce taux de « mortalité » des entreprises est cependant à mettre en regard du nombre de créations : près de 100 000 entreprises créées en 2023. La bonne nouvelle est que, selon l’Insee, les créations d’entreprises au quatrième trimestre concernent majoritairement des entreprises qui embauchent des salariés. Pour terminer, on peut noter que l’activité régionale du mois de septembre a été encore une fois plus soutenue qu’au niveau national.
JFR : Conformément aux prévisions, le chiffre d’affaires des entreprises s’est dégradé au 3e trimestre. La contraction des marges se poursuit et les trésoreries, en souffrance depuis le milieu de l’année 2023, restent sous tension. Du fait de la conjoncture morose, l’emploi baisse, même si des difficultés de recrutements observés persistent malgré tout dans certains secteurs. De son côté, la demande à venir est peu soutenue et les dirigeants n’anticipent pas d’amélioration d’activité. Pour évoquer spécifiquement les défaillances, l’étude du cabinet Altares montre que, avec 1 221 cas de plus au 3e trimestre, l’Occitanie enregistre une évolution de +20,3 % par rapport à la même période en 2023. Ce chiffre place notre région tout près de la moyenne nationale (+20,08 %). En valeur absolue, plus de 64 000 défaillances d’entreprises sont à déplorer sur les douze derniers mois, chiffre supérieur de 24 % à celui de 2019 . Dans le même temps, il faut cependant relever la création de près de 100 000 entreprises. L’entreprise et l’économie d’Occitanie résistent mais l’équation trésorerie-endettement-inflation-demande-carnets de commandes-délais de paiement est plus ou moins complexe à résoudre. Et, malheureusement, impossible parfois pour des structures durablement fragilisées par la répétition d’années difficiles.
Quel est l’état d’esprit des chefs d’entreprise avec lesquels vous échangez ?
CB : Les incertitudes liées aux élections et aux débats budgétaires ne bénéficient pas forcément à la confiance et au climat des affaires, notamment aux décisions en faveur de l’investissement, des embauches, des transitions énergétiques… Cela étant, s’il n’est pas dénué de prudence, voire d’inquiétude, le moral des dirigeants demeure résilient hormis le commerce de proximité et les cafés hôtels-restaurants où l’inquiétude prédomine.
JFR : Il est logiquement en phase avec les chiffres de notre Enquête de conjoncture : de la prudence et une confiance, qui à l’image des dirigeants d’Occitanie, résiste. Ainsi, le niveau de confiance en l’avenir demeure stable et quasiment équilibré avec 31 % des dirigeants optimistes contre 30 % pessimistes. Cette double lecture de la situation est parfaitement résumée par la Grande Consultation des Entrepreneurs Opinionway pour CCI France-La Tribune-LCI de septembre. Certes l’indicateur de confiance des dirigeants est entre 82 et 86 depuis juin 2024… mais il était à 108 en février 2022. L’état d’esprit des dirigeants tient largement à la conjoncture dans leur secteur d’activité. C’est dans le secteur du commerce que le niveau de confiance quant à l’avenir est le plus bas, à 37 % et quasiment avec les cafés hôtels-restaurants à 36 % (contre 20 % dans l’industrie).
Quel scenario pour l’économie régionale en 2025 ?
CB : Il est pour l’essentiel en phase avec celui de l’économie nationale. L’un des faits marquants demeure que l’inflation devrait être maîtrisée (à environnement constant), grâce à la baisse des prix de l'énergie mais également depuis septembre des services. Conjuguée à la baisse des taux de crédits, cela devrait profiter à la consommation par l'augmentation du pouvoir d'achat salarial. Toutefois la confiance dans l’environnement politique français et l’environnement géopolitique mondial n'est pas totalement garanti, les taux d'épargne sont dans ce cadre en augmentation cette année tant au niveau français qu'européen… Notre prévision de croissance pour 2025 est, à ce jour, de 1,2 %, avant un retour à un rythme plus soutenu de 1,5 % en 2026. Les entreprises d’Occitanie continueront à rechercher de la rentabilité.
JFR : L’impact qu’aura l’évolution de la situation politico-budgétaire nationale, si l’on sait qu’il sera majeur, rend cependant l’exercice de prospective aléatoire. A fortiori si l’on y ajoute les inconnues liées au contexte géopolitique mondial (évolution des conflits en Ukraine et au Proche-Orient/Moyen-Orient, politique protectionniste américaine, tensions entre la Chine et Taiwan…). Très ouverte sur l’international, l’économie d’Occitanie est logiquement à l’écoute de l’évolution de la situation dans ces régions du monde. Un exemple. Si elle se concrétisait, la hausse des droits de douane -jusqu’à plus de 60 % pour les produits chinois- annoncée par Donald Trump ne ferait pas que pénaliser nos exportations, elle aboutirait à un forcing de Pékin pour « compenser » sur le marché européen…Sur un scenario intermédiaire dans lequel les tendances de 2024 se prolongent, les prévisions de croissance devraient passer à 1,2 % au niveau national. Notre région devrait suivre cette tendance. Pour nos entreprises, le recul de l’inflation devrait se confirmer et constituerait une très bonne nouvelle. En revanche, mesure-t-on pleinement l'impact économique qu’auront pour les entreprises les nécessaires transformations liées à la décarbonation de leurs activités ?