Avec un poids croissant dans le PIB de notre pays, la maritimisation de l'économie française est une réalité. Commerce, pêche, plaisance, Défense, énergie… : la France et l’Occitanie existent-elles à la hauteur de leurs nombreux atouts ?
Carole Delga : Après les Assises nationales de la pêche en 2018 à Sète, l’Occitanie accueille à Montpellier l’événement majeur du monde maritime français. C’est le signe du poids croissant de l’Occitanie sur l’échiquier maritime national et européen. L’Occitanie est une puissance maritime montante à l’heure où la France affirme une forte ambition maritime. L’Occitanie accueille chaque année plus d’habitants sur le littoral. Avec le Parlement de la Mer, qui rassemble la communauté maritime et le Plan Littoral 21, qui génère 1 milliard d’euros d’investissements pour l’économie bleue, nous travaillons pour que la Méditerranée fasse vivre nos enfants dans les 30 prochaines années. Le pari est double : créer plus d’emplois, et préserver la richesse naturelle que constitue la Méditerranée. Nous sommes en train de transformer le littoral d’Occitanie avec le concours de tous les pouvoirs publics : Région, État, Caisse des Dépôts, départements, communes, intercommunalités. Cette mobilisation sans précédent, 50 ans après la Mission Racine, est un pari gagnant. Il suffit de se promener sur le littoral d’Occitanie pour se rendre compte du nombre de chantiers engagés. J’y ajoute l’investissement en faveur des ports, notamment à Sète ou Port-la-Nouvelle, gérés par la Région et qui, aujourd’hui, bénéficient de résultats très encourageants. Je considère que la mer est une chance à condition de s'en occuper et de proposer des solutions. Or, l'actualité nous incite à tourner le dos à la mer : risque inondation, risque submersion, naufrages des migrants, pollution des plastiques… Tous ces éléments sont anxiogènes pour nos concitoyens. Pour trouver des solutions, nous avons mis en place des outils : Parlement de la Mer pour dialoguer avec les citoyens, Plan Littoral 21 pour investir et innover, partenariat avec SOS Méditerranée pour venir en aide aux naufragés, Occitanie 2040 pour anticiper les aménagements des 20 prochaines années…
Alain Di Crescenzo : Comme souvent, notre pays méconnaît ou sous-estime ses atouts. Et la mer illustre bien cette tendance. Combien de nos compatriotes savent que la France dispose de 11 millions de km² d’espaces maritimes, ce qui en fait le deuxième espace maritime de la planète par ses zones économiques exclusives. Et, compte tenu de la répartition de celui-ci sur le globe, la France est le seul pays au monde sur lequel le soleil ne se couche jamais. Trois chiffres confirment le poids de la maritimisation dans notre économie : 270 Mds €, 820 000 emplois et 14 % du PIB national. J’y ajouterai deux éléments de comparaison qui parleront à tout le monde : l’économie de la mer, c’est d’ores et déjà trois fois le chiffre d’affaires de l’industrie automobile française et six fois celui de l’industrie aéronautique. Exploitons-nous tout le potentiel de nos atouts maritimes ? Probablement pas. C’est dans notre pays qu’a été construite la première usine marémotrice. C’est en France que nos entreprises détiennent 50 % du marché des systèmes télécoms sous-marins. Les positions qui sont celles de notre pays sur, et sous, les mers et les océans ont été conquises par l’investissement, l’audace et l’innovation. Nous devons à nouveau avoir une véritable politique d’investissement privé et public pour valoriser nos atouts et mettre les entreprises au cœur du développement de notre maritimisation économique. Car la performance des talents d’Occitanie dans ce domaine est une réalité. J’en prendrai un exemple : les courses à la voile autour du monde. Ce sont les épreuves les plus exigeantes et probantes technologiquement, mécaniquement, humainement… On ne le sait pas assez mais l’Occitanie est peut-être la seule région dans le monde à concentrer l’ensemble de la chaîne permettant les exploits des marins. Calculs de résistance des matériaux et simulations, mise en œuvre des composites, prévisions météo, tracking satellites et géolocalisation, balises de détresse, télémédecine maritime… : le visage des courses modernes, préfiguration de la performance maritime de demain, se dessine en Occitanie.
La mer peut-elle être significativement disruptée par la vision de start-ups qui reconsidèrent et challengent le potentiel économique de cet élément ? Les pépites d’Occitanie ont-elles un rôle particulier à jouer ?
CD : Notre dynamique maritime s’appuie sur notre capacité à inventer, autrement dit à innover. J’en veux pour preuve les trois projets d’Occitanie lauréats de l’appel à projets « Territoires d’innovation » retenus le 13 septembre dernier par le Premier ministre. Ces trois dossiers démontrent notre capacité d’innovation, indispensable pour faire face aux enjeux climatiques dans tous les domaines : mer, agriculture, transports. Pour la partie mer, notre dossier Littoral + retenu dans le cadre de l’appel à projets de l’État associe les acteurs publics et privés, les populations et usagers, et les forces académiques et de recherche. L’objectif est de proposer de nouveaux modèles répondant concrètement et, dans un souci de développement économique, aux enjeux des transitions énergétique et écologique, numérique, démographique et sociale. Les actions proposées dans le cadre de Littoral + feront l’objet d’une co-construction citoyenne. Elles portent sur les ressources énergétiques qui deviendront à la fois des sources de développement de nouvelles filières d’énergie renouvelable et permettront à des filières traditionnelles comme la conchyliculture de prévenir les crises environnementales liées au réchauffement climatique. Littoral +, c’est aussi la maîtrise et la gestion raisonnée des ressources naturelles (réutilisation des eaux usées traitées pour la vigne, suivi hydrologique…) à travers de nouveaux outils prédictifs connectés, la transformation numérique du littoral et la gestion partagée des données… Du point de vue des investissements, Littoral +, c’est près de 91 M€ dont 73,60 M€ apportés par les entreprises sur 10 ans qui sont prévus pour mettre en œuvre ce projet, piloté par la Région. L’objectif est ainsi de permettre aux habitants d’Occitanie de devenir des acteurs d’un territoire qui leur garantit la sécurité, la qualité de vie et l’emploi tout en tenant compte des impacts du dérèglement climatique croissant et des enjeux environnementaux.
ADI : La mer d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier et déjà plus tout à fait celle de demain. On le voit, a fortiori dans le cas d’une mer presque fermée comme la Méditerranée, le rapport de l’économie au maritime ne peut plus, au XXIe siècle, être celui qui a prévalu auparavant. Il doit être réinventé pour bénéficier plus durablement de tout ce que la mer nous offre en termes de ressources alimentaires et naturelles, d’énergie… L’apport de visions innovantes ou disruptives sur cet élément porteur de vie, mais aussi d’enjeux environnementaux majeurs, n’est pas l’apanage des start-ups -même si elles y contribuent largement. Le maritime et le fluvial représentent en effet près de 900 métiers. Ceux traditionnellement effectués sur mer (marins, pêcheurs…) et sur terre (construction navale, tourisme côtier, activités balnéaires,…) y côtoient de nouveaux emplois liés aux nouvelles technologies et au développement d’entreprises innovantes. D’après Pôle Emploi Maritime, plus de 100 000 offres d’emploi « Mer » ont été collectées dans les régions maritimes françaises en 2018, un chiffre en hausse de +4,6 % en un an. Cette croissance peut, et doit, être boostée par une nouvelle manière de considérer la mer. L’écosystème de notre région est, pour cela, riche des visions et des savoir-faire de ses entreprises mais aussi des travaux de recherches de ses laboratoires, de l’enseignement de ses Écoles, de la force de ses pôles et clusters… Dépollution, développement des énergies renouvelables comme l’éolien flottant, renouvellement de la ressource halieutique avec la création de récifs artificiels respectueux de l’environnement, dessalinisation innovante et « pêche » d’eau, traction éolienne des navires de commerce, valorisation de la végétation (algues et plancton) dans la cosmétique, l’agroalimentaire… : quelle que soit leur taille, nos entreprises tournées vers la mer contribuent activement à donner un nouveau cap à celle-ci.
Notre territoire fait converger air, mer et terre, les 3 éléments de l’ADN de celui-ci. Comment les faire converger économiquement et technologiquement en développant et multipliant les synergies avec les filières d’excellence traditionnelles (l’aéronautique, le spatial, le tourisme…) notamment et les autres filières ? Mais, aussi, entre entreprises du littoral et celles de l’intérieur des terres ?
CD : L’innovation doit permettre à notre époque d’entrer définitivement dans l’ère d’une économie responsable. Pour ce faire, l’Occitanie dispose de sérieux atouts. À la fois en matière d’économie collaborative, d’intelligence artificielle, de biodiversité et de patrimoine culturel. À l'occasion des Assises de l'économie de la Mer, je dévoilerai une étude sans précédent qui détaille les perspectives de développement de l'économie bleue qui profitent à toute l'Occitanie parce que nous faisons le pari que la mer peut créer de l'emploi même jusqu'à Toulouse. À titre d’exemple de synergie, je voudrais citer l’action du Parlement de la Mer, dont Alain Di Crescenzo est membre, pour développer une nouvelle filière économique : l’habitat flottant. La première unité flottante occitane a été conçue par une entreprise située dans l’Aveyron et sera prochainement installée dans une commune littorale. L’habitat flottant est une expérimentation du Plan Littoral 21 impulsée par Didier Codorniou. C’est une réponse au changement climatique en proposant une forme d’adaptation de l’habitat et de l’aménagement touristique sur le littoral. C’est un signal des pouvoirs publics pour créer des équipements résilients et assurer les emplois des prochaines décennies. Avec le concours de l’État et de la Caisse des Dépôts, je souhaite que l’Occitanie soit leader en France dans cette filière naissante avec l’objectif d’accueillir des démonstrateurs dans l’enceinte des ports de plaisance maritimes et fluviaux.
ADI : L’un des leaders de la fabrication de chaînes de bateaux est implanté en Tarn-et-Garonne ; l’Aveyron abrite un fabricant de textiles en matériaux composites dont les voiles équipent nombre de bateaux du Vendée Globe ; le Tarn héberge le numéro 3 de la mode marine en Europe ; Toulouse est le port à sec de Barcelone ; c’est dans les Hautes-Pyrénées que seront fabriquées les ailes qui tracteront les premiers cargos équipés… : l’irrigation par le maritime de l’intérieur des terres d’Occitanie est déjà une réalité ! Tout comme l’existence de synergies entre les trois éléments de notre ADN Air-Mer-terre. Il faut bien sûr aller plus loin et systématiser la fertilisation croisée des connaissances et des savoir-faire entre le littoral et les terres. Et comme je le répète inlassablement, l’Occitanie doit « chasser en meute ». Même si cela est moins spontané que de se tourner vers une autre région maritime, commencer par vérifier si le produit ou le savoir recherché existe sur notre territoire créé un cercle vertueux qui bénéficie à l’ensemble de l’économie régionale. La performance de filières comme l’aéronautique ou le spatial peuvent, par exemple dans le domaine de l’ingénierie, du calcul, de la maîtrise des matériaux, de la simulation, être mis au service de la construction navale. Pour notre région, la conquête de cette nouvelle frontière économique telle qu’est la mer passe par l’abandon de certains réflexes ou a priori. Elle passe également par une réflexion sur le branding maritime du territoire à mener ensemble, collectivités, institutions, entreprises…